La Bulle et le Pouce

Retour d’expérience d’une professionnelle de Shiatsu avec une enfant autiste sévère non verbale

En juin 2017, j’avais été contactée par l’antenne locale d’une association nationale mobilisée pour les enfants autistes, AEVE, pour tenter un accompagnement en Shiatsu avec une enfant autiste de huit ans et demi non scolarisée. Malgré mon peu de connaissance sur l’autisme, j’ai relevé le défi. Tous les partis étaient informés que nous ferons ensemble cette expérience de comprendre ce que le Shiatsu pourrait apporter à Ghalia.

Les troubles autistiques en quelques mots
L’autisme est un trouble neuro-développemental que nous savons de mieux en mieux diagnostiquer aujourd’hui. Ses manifestions sont multiples et diverses et vont du génie surdoué au retard mental profond. Les points communs de toutes les personnes concernées sont les troubles autour de la relation et de la communication et les caractères restrictifs et répétitifs des centres d’intérêt. C’est ce qu’on appelle la dyade de l’autisme[1].

La rencontre avec Ghalia
Ghalia avait huit ans et demi la première fois que nous nous sommes rencontrées. Ghalia est une enfant autiste sévère non verbale avec un retard mental. Son stade cognitif évalué était celui d’un enfant de 18 à 24 mois. Elle ne parlait pas, à part « Papa » et « Maman », portait des couches et avait besoin de soutien pour tous les gestes du quotidien comme celui de se laver ou de s’habiller. Elle était accompagnée de son père, un monsieur dur et doux à la fois, tendre et brusque aussi, mais qui aimait sa fille avant tout. Il souffrait de narcolepsie ce qui l’empêchait de travailler. Il s’occupait de Ghalia lorsqu’elle n’était pas prise en charge par l’antenne locale de l’association AEVE.

Le premier contact avec Ghalia a été inattendu. Et je crois que c’est le mot clé que l’on doit retenir dans les interactions avec une personne autiste : l’inattendu. Vous pouvez être un grand savant sur plein de sujets, maîtriser des principes et des concepts complexes. Or, devant des personnes atteintes d’autisme, ça ne vous sert à rien. Pourquoi ? Parce qu’elles s’en fichent de tout ça. Elles sont dans le présent, dans l’ici et maintenant. Ou alors elles sont enfermées dans leur bulle parce que le présent est trop douloureux. Quoi qu’il en soit, la personne autiste a un lien particulier avec le présent. Soit parce qu’elle l’habite complètement, soit parce qu’elle le fuit de tout son être.

Réflexions sur les expériences thérapeutiques
Cette rencontre avec Ghalia fut tellement déconcertante pour moi que j’ai ressenti le besoin de m’asseoir derrière mon ordinateur pour écrire ce qu’il venait de se passer. Elle avait voulu boire mon gel hydro-alcoolique, manger mes mouchoirs, failli casser la poignée de la porte de mon cabinet. Elle criait souvent, frappait les personnes qui l’accompagnaient, jetait ses vêtements à travers la pièce. Après son départ, j’avais l’impression qu’un camion de 3,5 tonnes venait de me rouler dessus. Il fallait que je réorganise mes pensées et me souvienne méthodiquement de chaque instant. Parce qu’à un moment donné, j’avais réussi à établir un contact physique avec elle.

A cet instant, j’ai pris la mesure de mon engagement. Il allait falloir désapprendre tout ce que je savais, laisser tous mes à priori au placard et accueillir ce qu’elle allait me proposer séance après séance. L’écriture allait ici laisser une trace de tous ces instants fort éloignés de mon quotidien bien rangé. Et ce devint une habitude. Cela m’aidait à comprendre et saisir les réussites et parfois aussi les erreurs lors des séances[2].

Des progrès grâce au Shiatsu ?
Un des points particuliers que je retiendrai de cette fabuleuse expérience est le progrès que Ghalia a fait dans son quotidien. Il sera présomptueux d’en attribuer ouvertement les mérites au Shiatsu, certes, car le temps passe et les enfants grandissent. Mais, comme par hasard, c’est après quelques séances de Shiatsu qu’elle a gagné en autonomie sur certains aspects de sa vie, notamment sur sa toilette. Il est même devenu possible de toucher son dos, chose qu’elle refusait depuis toujours. Pour ce dernier point, il est évident que le Shiatsu a exercé une influence significative. Et comme le dit Geneviève Haag, psychanalyste et psychothérapeute française spécialisée dans l’accompagnement des enfants autistes, s’il n’y a pas de consolidation du dos, le regard ne peut se poser[3] . Sans regard posé, il manque à l’enfant un outil pour rentrer en contact avec le monde extérieur. Il reste donc coincé dans sa bulle. Bulle qui est sécurisante mais emprisonnante. Tout l’enjeu est bien là : comment sortir ces personnes de leur refuge ? Un refuge dans lequel elles vont se loger lorsque le monde extérieur devient trop agressif pour elles. Comment leur donner envie de nous rejoindre ?

Le Shiatsu semble être un merveilleux outil pour créer un espace de rencontre à travers un sens qui est souvent activé de manière biaisée chez ces personnes. Le toucher bienveillant. La main et le regard se posent. L’intention d’être simplement là sans rien attendre. Le non-jugement. Juste la présence pour ouvrir un moment d’échange possible dans l’entièreté de l’être.

Car il y a là une autre clé : chaque instant est précieux. Oui, car lorsque l’enfant plongera ses yeux dans les vôtres pour vous signifier qu’il est avec vous, ce sera un instant très court mais d’une intensité rare. Et peut-être même que cet enfant qui paraissait si sauvage vous gratifiera d’un câlin. Ce sera un véritable cadeau, le plus beau, le plus sincère, le plus entier qu’il pourra vous livrer. Ces enfants nous ramènent à l’essentiel. Merci à eux pour ce qu’ils sont et bravo et courage aux familles et aux professionnel-le-s qui les accompagnent chaque jour.

Nathalie Bernardinelli, Shiatsu-Therapeutin aus Poissy (F)

Plus d’informations sur le sujet
_ Autisme.ch
_ Shiatsu pour enfants

[1] DSM-5 Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux, American Psychiatric Association, Edition Elsevier Masson, 2013

[2] J’ai publié sous forme de livre un recueil des 21 premières séances que j’ai données à Ghalia entre septembre 2017 et novembre 2018. La Bulle et le Pouce, 2019, Actéa Santé Éditions: https://www.unitheque.com/la-bulle-pouce/herve-eugene/Livre/141959

[3] HAAG G., TORDJMAN S., DUPRAT A. et col., Grille de repérage clinique des étapes évolutives de l’autisme infantile traité, psychiatrie de l’enfant, vol 38, n°2 P 495-527, 1995