Sabine Bannwart

La thérapie complémentaire en tant que profession de la santé

Entretien avec Sabine Bannwart, présidente de l’Association Suisse de Shiatsu (ASS)

Ces dernières années, la thérapie complémentaire a gagné en importance dans le système de santé suisse en tant que complément à la médecine conventionnelle et alternative. Cette profession, dont la formation professionnelle et solide dure plusieurs années, donne lieu à des questions intéressantes sur sa position dans le système de santé, sur ses possibilités et ses limites.

Comment devient-on thérapeute complémentaire aujourd’hui ?
Depuis 40 ans déjà, il existe des thérapeutes de Shiatsu en Suisse. Avec la votation en 2009, la prise en compte des médecines complémentaires a été intégrée à la Constitution, ce qui reflétait la large acceptation de la médecine alternative au sein de la population. Cette votation a aussi créé les bases pour un diplôme fédéral de thérapeute complémentaire. Ensuite, l’OrTra TC a été fondée, elle est l’organisation qui représente les intérêts de toutes les associations professionnelles de la thérapie complémentaire et est chargée du développement de normes nationales pour la formation professionnelle supérieure et de la mise en œuvre de l’Examen Professionnel Supérieur. La thérapie complémentaire n’est pas une méthode en soi, mais elle regroupe actuellement 20 méthodes reconnues, dont le Shiatsu. Toutes les méthodes sont caractérisées par leurs principes de base du toucher, du mouvement, de l’énergie et du souffle.
Le diplôme fédéral a été introduit en 2015. Tout d’abord, il faut suivre une formation professionnelle d’une durée minimale de 3 ans au sein d’une institution reconnue. En Suisse, il existe sept écoles de Shiatsu. Avec 500 heures de contact dans la méthode et 340 heures de contact dans les domaines des bases professionnelles spécifiques, socio-économiques et médicales (Tronc commun), la formation est solide et complète. En tout, la formation de Shiatsu comprend environ 2660 heures d’apprentissage, y compris les heures d’étude personnelle et le stage pratique. La formation à la méthode peut être sanctionnée par le « Certificat de Branche OrTra TC ».
Après cette formation de base, il faut acquérir de l’expérience professionnelle. Les personnes qui peuvent démontrer cette expérience sur une période d’au moins deux ans sous supervision seront admises à l’Examen Professionnel Supérieur (EPS) et pourront obtenir le « Diplôme fédéral en thérapie complémentaire ».

Comment la thérapie complémentaire s’intègre-t-elle dans le paysage médical suisse ? En quoi la thérapie complémentaire diffère-t-elle de la médecine conventionnelle et qu’est-ce qui les relie ?
La thérapie complémentaire se veut complémentaire par rapport à la médecine conventionnelle ou alternative. D’une part, le savoir-faire professionnel des disciplines diffère. Par exemple, les thérapeutes complémentaires ne sont ni autorisé-e-s ni formé-e-s pour établir un diagnostic médical, administrer des médicaments ou utiliser des techniques invasives. Ils recueillent plutôt des informations pour établir un bilan spécifique à la méthode, ils saisissent la personne dans son ensemble et donnent des impulsions par le toucher, le mouvement, la respiration, le travail énergétique et le dialogue pour stimuler le processus de guérison. L’objectif est de renforcer la personne dans sa capacité d’autorégulation et de perception de soi et donc dans sa compétence de guérison.
Les thérapeutes de Shiatsu voient souvent des client-e-s se plaignant de maux de tête, de maux de dos, de migraine, de troubles du sommeil, de troubles digestifs ou d’épuisement. Les client-e-s consultent aussi souvent après un accident ou une opération. Un soutien thérapeutique complémentaire est également recherché dans des phases de changement tels que la grossesse, la ménopause ou la réadaptation après une maladie.
Dans l’idéal, les thérapeutes complémentaires travaillent en collaboration avec d’autres professionnel-le-s impliqué-e-s. La collaboration interdisciplinaire entre médecins et thérapeutes a souvent un effet très bénéfique sur le traitement.

Comment faut-il comprendre le concept de globalité dans la thérapie complémentaire et quelle est la conception de l’être humaine sur laquelle repose la thérapie ?
Les thérapeutes complémentaires partent du principe que chaque personne dispose d’une capacité naturelle d’adaptation et d’évolution personnelle et qu’elle aspire à développer son potentiel physique, émotionnel et mental.
Dans la thérapie complémentaire, l’être humain est compris comme une unité du corps, de l’âme et de l’esprit. Tous les aspects de l’être humain sont pris en considération dans nos traitements. Par le toucher, nous travaillons avec le niveau physique de la personne. Le dialogue thérapeutique s’adresse à l’esprit et vise à stimuler la perception et la réflexion de soi. La communication non-verbale par le toucher, la conversation et la présence attentive et consciente soutiennent l’âme dans son processus de guérison.
La façon de concevoir l’être humain en thérapie complémentaire s’exprime également dans ses principes structurants. Nous entendons par principes structurants la qualité de la relation, la rencontre empathique, le dialogue équitable et le principe de l’expérience positive selon lequel la personne peut agir et obtenir des résultats. Le fait de se concentrer sur les ressources existantes ou à découvrir et de se tourner vers des solutions possibles en fait partie aussi, le tout dans l’objectif de fortifier la stabilité, la flexibilité et la force mentale, physique et morale de la personne. Comprendre et clarifier sa propre situation de vie et développer la confiance en soi pour pouvoir la maîtriser sont également des éléments importants du processus de guérison que nous accompagnons dans la thérapie complémentaire.
La thérapie complémentaire est clairement axée sur le potentiel et non sur les déficits et les problèmes des client-e-s. L’objectif est toujours de renforcer les aspects salutaires de la personne.

Quelles sont les limites de la thérapie complémentaire ?
Comme mentionné ci-dessus, les thérapeutes complémentaires ne posent pas de diagnostics médicaux et n’administrent pas de médicaments, même naturels. Nous renonçons à des méthodes thérapeutiques invasives ou irritantes pour la peau. Le travail corporel et le toucher, complétés par le dialogue thérapeutique, sont au centre de notre thérapie. Nos instruments sont nos mains, nos coudes et nos genoux, notre expérience thérapeutique et notre ouverture d’esprit.
Les client-e-s viennent souvent nous voir après avoir fait un contrôle médical. Toutefois, si au cours du traitement nous soupçonnons une maladie qui nécessite un traitement médical, nous recommandons aux client-e-s de contacter leur médecin. La formation de base des thérapeutes complémentaires en médecine conventionnelle leur permet de recommander à une personne un contrôle médical ou psychiatrique, si nécessaire.
Les thérapeutes complémentaires doivent évaluer de manière objective non seulement leur expérience mais aussi leurs propres limites et capacités. Des supervisions et/ou intervisions régulières leur permettent de mieux évaluer leurs propres capacités et connaissances, ainsi que d’analyser et de maîtriser des situations de travail difficiles avec le soutien d’autres professionnel-le-s.

Comment vois-tu l’avenir des thérapeutes complémentaires ?
Nous nous réjouissons de l’évolution encourageante qu’a pris la professionnalisation de notre métier. Depuis 2015, plus de 1120 thérapeutes ont obtenu le diplôme fédéral, dont environ 271 dans la méthode Shiatsu. Nous constatons que les médecins recommandent de plus en plus souvent la thérapie complémentaire et que les premiers hôpitaux et cliniques proposent aussi des traitements thérapeutiques complémentaires dans le cadre de leurs thérapies. Il faut donc espérer qu’à l’avenir il y aura, en dehors des cabinets, davantage de possibilités de se faire traiter en thérapie complémentaire. Cette évolution nous réjouit beaucoup puisqu’elle va dans le sens d’une collaboration croissante au profit de la santé de la population.

Autres contributions à ce sujet 
_ La guérison dans la thérapie complémentaire
_ Comprendre la thérapie en tant que processus

Données biographiques
Sabine Bannwart est thérapeute de Shiatsu depuis 9 ans. Elle travaille dans son propre cabinet à Pfäffikon ZH. Elle est aussi enseignante à l’école de thérapie complémentaire Phoenix Schule à Zurich. Au sein du comité de l’ASS, elle était initialement responsable des relations publiques et a pris la présidence en 2018.